S’il ne fallait choisir qu’un photographe parmi tous ceux qui parcourent aujourd’hui le monde, ce serait lui. Sebastiao Salgado, Brésilien de sang, parisien d’adoption, mais citoyen du monde avant tout, est peut-être le seul photographe réellement complet. Au sens où il possède, à la fois, le regard, l’esprit et le cœur. Des artistes comme lui sont rares. À l’image de la planète, il faut, eux aussi, les préserver.

Sebastiao Salgado, la beauté au-delà des clichés 1

Un photographe qui a bonne mine

C’est une photographie impressionnante, prise du sommet d’une vaste excavation à ciel ouvert. Vue de loin, l’image semble mettre en scène des milliers de fourmis agglutinées sur les parois. Il faut s’approcher, et regarder dans le détail, pour prendre conscience que ces fourmis sont des hommes, et qu’ils transportent, comme des mules, de lourds sacs.

C’est sur les clichés de la mine d’or de la Serra Pelada, au Brésil, que s’ouvre le documentaire de Wim Wenders consacré au photographe Sebastiao Salgado, Le Sel de la terre. Coréalisé avec le fils de l’artiste, Juliano Ribeiro, le film a remporté un prix spécial après sa présentation au festival de Cannes en 2014. Il a contribué à faire connaître son travail dans le monde entier.

Et il faut seulement quelques minutes au spectateur pour comprendre que Sebastiao Salgado est plus qu’un photographe : c’est un artiste « social », c’est un observateur aguerri de la beauté qui réside en l’homme et en la nature. Bref, c’est un humaniste qui capte, mieux que personne, le paradoxe d’un monde qui est à la fois rempli de splendeurs et dominé par la misère.

Dans ces clichés de mine d’or, la splendeur, c’est l’excavation elle-même, immense, et cette population qui grouille à l’intérieur. Quant à la misère, c’est ce besoin qui pousse ces hommes à risquer leur vie à chaque seconde pour espérer mettre la main sur quelques pépites d’or. L’aspiration à la richesse, au cœur d’une nature qui les dépasse : un rêve dans un paysage de fantasme.

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Sebastiao Salgado : l’économiste devenu artiste

Né au Brésil en 1944, Salgado a eu deux carrières : économiste et artiste. La première débute par des études de sciences économiques au Brésil, suivies des cours de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique à Paris, puis d’un Doctorat. Elle se poursuit par le ministère des Finances de Sao Paulo et par un poste à l’Organisation internationale du café à Londres.

Il a 26 ans quand, regardant dans le viseur d’un appareil photo, sa vie prend brusquement tout son sens. Voilà l’objet qui va lui permettre d’interagir avec le monde. C’est un travail acharné, et beaucoup d’expérience, qui lui permettront de se lancer pour de bon dans sa seconde carrière, la plus importante : celle de photographe. Celle d’artiste. Humain à plein temps.

Si sa formation universitaire témoigne d’un esprit brillant, elle conduit surtout Sebastiao Salgado à appliquer à son travail de photographe la rigueur et la justesse qui sont les caractéristiques de l’économiste. Chaque projet devient une recherche systématique : ce sont des années de voyages et de rencontres, des milliers de clichés, rien de moins.

La justesse du regard s’accompagne de la précision technique. Amoureux du clair-obscur et du noir et blanc, de l’argentique comme du numérique, Salgado transmet une vision du monde simple, mais toujours sublimée par son approche à la fois socialisante et esthétisante. Ce qu’on a pu lui reprocher parfois, notamment Susan Sontag, au prétexte qu’il profiterait de la misère humaine.

Ethiopia, 1984

Tous humains

Le propre du travail de Salgado, c’est de démontrer que tous, humains, nous formons une entité unique, divisée entre plusieurs cultures et pays. Ses projets tendent des liens entre les continents et les civilisations : Autres Amériques, sur les contrées les plus reculées du sous-continent ; Sahel, l’homme en détresse, sur les populations confrontées à un environnement hostile.

Deux projets majeurs témoignent de cette perspective humaniste. D’abord, La Main de l’homme (1993) : 6 ans de recherches dans 26 pays et 5 continents, en quête d’une représentation de l’évolution du travail manuel. Ensuite, Exodes : 5 ans sur les routes, aux cotés des populations migratoires, forcées par les événements politiques, du Rwanda au Kosovo.

Après avoir exercé pour l’agence Gamma et la coopérative Magnum, Salgado fonde en 1994, avec sa femme Lélia, Amazonias Images, une structure vouée à son travail. En 1998, ils créent ensemble l’Instituto Terra, un projet de reboisement de la forêt Atlantique dans la vallée du Rio Doce, au Brésil, sur les terres qui entourent la ferme où le photographe a grandi.

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Objectif : Terre

Mais le grand-œuvre de Salgado, le couronnement d’une carrière admirable (et qui n’a pas encore pris fin, fort heureusement), c’est Genesis. Cet ouvrage est le résultat d’une expédition épique de 8 années, à partir de 2004, pendant lesquelles le photographe a changé complètement de paradigme et a pris tous les risques. De l’homme, qui a toujours été son sujet, il est passé à la nature.

C’est ainsi que Salgado, armé de son appareil photo et de son goût pour le noir et blanc, part à la découverte des paysages, des montagnes et des vallées, des océans et des déserts, mais aussi de la faune et des groupes de population qui ont échappé aux radars de la société moderne.

Genesis, c’est la genèse : une planète telle qu’elle aurait été juste après sa création, une planète préservée, vierge de toute empreinte industrielle. Un monde d’une beauté renversante – sublimé par les clichés de Salgado, capables de donner des frissons – qu’il faut conserver pour le léguer aux générations futures. D’où la vocation pédagogique qui est, aussi, celle de l’Instituto Terra.

Ce n’est pas un hasard si, à l’occasion de la COP21 de Paris, la RATP a placardé une sélection de photos tirées du livre de Salgado dans 12 stations de métro parisiennes. Moins pour dépayser les usagers que pour leur rappeler, puisque le besoin s’en fait sentir, que leur planète est belle et admirable, et qu’elle mérite qu’on l’aime. Et qu’on la traite comme une mère.